Nos constructions sont-elles adaptées à notre mode de vie ?

Réunions de restitution des ateliers aux Tours de Magenta et à Lifou
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Le Référentiel de la Construction de la Nouvelle-Calédonie (RCNC), piloté par le gouvernement (DAPM) et ayant pour objectif de renforcer la qualité des constructions, repose sur 3 axes : un système d’assurances construction obligatoires, des qualifications obligatoires pour les professionnels et des matériaux référencés. Mais faire réaliser des travaux par des constructeurs qualifiés utilisant des matériaux conformes à des normes et garantir la pérennité de l’ouvrage durant dix années ne suffit pas à satisfaire aux attentes des Calédoniens.

En effet, ils expriment régulièrement, sans les décrire, des besoins orientés vers l’adéquation entre les espaces où ils habitent et un mode de vie exprimé comme “océanien”.

En conséquence, au-delà de la qualité des constructions, le projet mis en œuvre par la DAPM début 2022 a pour objectif d’interroger les communautés calédoniennes sur leur mode de vie, leur mode d’habiter, afin d’imaginer un référentiel, un guide, qui permette pour les constructions et les rénovations à venir, de guider les concepteurs vers une approche qui prenne en compte les éléments liés à ces modes d'habiter. 

Existe-t-il un ou plusieurs modes de vie en Nouvelle-Calédonie ? Quels en sont les éléments essentiels, importants, accessoires ? Comment les formuler dans un dans un projet de conception d’habitat ?

Telles sont les questions qui ont été posées dans le cadre du programme des ateliers de concertation dits « Habitat Océanien » mené début 2023 auprès de 300 personnes, soit 8 groupes répartis sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie, choisis dans un souci de diversité géographique, ethnique et culturelle, de genre, d’âge et de situation socio-économique.

Financée par le Fonds Pacifique, cette démarche est également menée à Fidji et au Vanuatu dans un objectif ultime de bien construire et de contribuer à renforcer la résilience des populations face au changement climatique.

Les objectifs de cette démarche sont multiples :

Imaginer un référentiel calédonien 

Définir une notion d’habitat adapté au mode de vie des Calédoniens signifie en déterminer des marqueurs et des indicateurs.

La notion de référentiel exprime l’idée d’exprimer ces marqueurs et ces indicateurs sous forme de critères, voire d’exigences.

Bien entendu, le niveau de réponse à ces critères et ces exigences caractérisera la capacité de l’architecte, du constructeur, à revendiquer le caractère Calédonien, Océanien de son ouvrage.  

Le RCNC est un producteur de référentiels techniques (agrément des matériaux et procédés) et organisationnels (agrément des acteurs de la construction).

Le référentiel de l’habitat “Océanien”, s’il est jugé pertinent par la profession et les autorités politiques, entre en cohérence avec la volonté d’améliorer les qualités des ouvrages dans toutes leurs dimensions ; sociétale, environnementale, énergétique, technique et résiliente.

Créer un climat de confiance

Le mode d’habiter touche à l’intime, à des concepts très personnels. Nous devons parler chambre à coucher, toilettes, douche, mais aussi relations intrafamiliales, éducation des enfants, voire relations d’amour et d’amitié. Ces sujets très sensibles ne peuvent pas être abordés en mode quantitatif. C’est pourquoi l’équipe en charge du projet a choisi délibérément d’adopter une démarche qualitative, en procédant à des entretiens avec des petits groupes sur une durée assez longue, afin de créer un climat de confiance et favoriser les échanges.

Une approche progressive vers les modes de vie

La même méthode de travail a été appliquée à chaque groupe, l’atelier se divisant en 4 séquences distinctes.

La première séquence consistait à expliquer cette démarche atypique, à susciter l’expression des participants par l'instauration d’un climat de confiance. Ensuite, une discussion ouverte et bienveillante a permis d’aborder le sujet sensible du mode d’habiter des individus et du groupe, puis les relations et interactions sociales au sein du foyer de chacun.

La seconde séquence consistait à prendre la mesure d’éléments plus concrets : ce que les participants aiment et n’aiment pas chez eux, la notion de sécurité, la notion d’image, et les signes identitaires liés à l’habitat.

La troisième séquence consistait en une activité créative ludique, en petits groupes de 4 à 6 personnes, à qui on demandait d’imaginer l’habitat idéal. Le groupe devait se mettre d’accord sur les éléments essentiels à cette création, via un travail d’intelligence collective.

Chaque groupe présentait ensuite aux autres sa démarche et les réflexions qui l’avaient conduit dans la conception de son habitat “idéal”.

Cette discussion libre et néanmoins animée a été précieuse pour faciliter l’expression, trop souvent implicite, de l’organisation sociale et des usages attendus.

La quatrième séquence consistait en une discussion ouverte sur l’usage des matériaux de construction et l’acceptation des matériaux biosourcés ou innovants. La perception et la sensibilité des communautés aux effets du changement climatique étaient évaluées lors de cette séquence.

Déterminer les signes identitaires de l’habitat 

La plupart des habitats arborent en intérieur ou en extérieur des signes identitaires, des marqueurs de l’identité et des valeurs des occupants. Le travail mené a tenté de déterminer quels peuvent être ces marqueurs pour la Nouvelle-Calédonie. Existe-t-il des marqueurs communs à toutes les cultures, et/ou propres à certaines cultures ? Sont-ils visibles ou invisibles ? Toutes ces questions ont été posées lors des ateliers et rencontres.

Identifier les savoir-faire traditionnels ancestraux

S’il existe des savoir-faire constructifs traditionnels ancestraux, un des objectifs de ces réunions était de les identifier, les répertorier et de mesurer l’attachement des populations à ces savoirs.

Evaluer la perception des matériaux biosourcés

L’introduction de matériaux géo et biosourcés dans les constructions constitue une réponse essentielle à notre adaptation au changement climatique. Nécessitant peu voire pas de transport car issus de la nature environnante, ils ont un impact carbone faible. De plus, ils sont souvent respirants et permettent une forte performance énergétique des bâtiments. La DAPM, pilote de ces ateliers, est aussi chargée du développement de filières de matériaux biosourcés. Un des objectifs de ces ateliers a ainsi été de mesurer auprès des habitants le degré d’acceptation et l’intérêt des populations à s’impliquer dans le développement de filières de production locale de ces matériaux, ainsi qu’auprès de quelques artisans locaux. De même, des acteurs liés à ces matériaux ont été rencontrés, dans un objectif de construction de filières.

Mesurer la perception des effets du changement climatique

Les effets du changement climatique sont violents et vont avoir une influence croissante sur la conception des habitats d’Océanie.

Il faudra conjuguer deux axes forts:

  • l’habitat devra être conçu de façon à baisser son empreinte carbone, dans la construction comme dans son exploitation. Il devra favoriser la sobriété et les performances énergétiques et environnementales.
  • l’habitat devra être résilient et protéger les habitants des impacts de plus en plus intenses des phénomènes climatiques. 

Les ateliers menés ont été l’occasion de mesurer la sensibilisation des populations rencontrées au changement climatique et d’identifier les solutions qu’il leur semble possible d’adopter.

Le concept de “well being” (bien-être)

Un travail avec des universitaires Néo-Zélandais a permis également d’échanger avec certains groupes sur le concept du bien-être basé sur une approche bienveillante envers ses proches, ses voisins, la nature et l'environnement. Ces échanges ont toujours suscité un grand intérêt et parfois beaucoup d’émotion chez certains participants, la nature faisant partie intégrante de la culture et de l’identité de nombreux Calédoniens. Des propositions ont été avancées pour permettre cette reconnexion à la nature et faciliter l’intégration harmonieuse de l’habitat dans son environnement.

Les éléments clé de ces ateliers et échanges ont tous été notés, analysés, les paroles des uns et des autres retranscrites. Un document en cours de rédaction bientôt disponible retrace tous ces échanges et propose quelques perspectives.

Eléments clés

L’équipe qui a travaillé sur ce projet est consciente qu’il ne constitue qu’un début, qu’un préambule, qu’une réflexion à développer beaucoup plus loin. De l’avis général, ces questions qui relèvent de l’intime, de la relation à l’autre et à son environnement ont suscité des réponses sincères, profondes qui ont exprimé des valeurs fortes en termes de cohésion familiale et sociale ; de valeurs humaines avant tout.

L’immense majorité des participants s’est interrogée pour la première fois sur son mode d’habiter, démarche très introspective et intime.

La progressivité des questions a amené chacun à revisiter celui-ci, à en exprimer des sentiments très forts, enfouis et trop souvent implicites.

Des prises de conscience très riches en émotion se sont produites et ont été partagées, quelle que soit la communauté rencontrée.

Tous nous ont interrogés sur la suite, manifestant l’envie de poursuivre les échanges.

De ces rencontres ressortent les points saillants suivants :

L’habitat ne se résume pas à la seule maison, à l'appartement, mais englobe les personnes avec lesquelles les habitants ont des liens. 

La caractéristique première de l’habitat approprié est perçue comme un facteur de cohésion sociale avant tout. L’habitat  doit favoriser le lien social, la connexion avec sa famille, ses proches, son clan. “Dans ma maison, j’accueille les autres”.

Dans les déclinaisons suivantes, on citera : “je me repose, mes enfants apprennent leurs devoirs,” etc... En milieu dispersé, l’habitat se compose dans l’espace, il comprend aussi faré, jardin, case, cuisine extérieure, champs, animaux domestiques et l’éventuel environnement naturel immédiat.

En milieu urbain, certaines fonctions essentielles sont imaginées hors de la sphère privée, dans des espaces partagés et mutualisés, et si possible naturels.

L’habitat est le lieu de connexion avec ses proches, un outil de tissage de liens (à l‘image de la case et de la natte, faites de liens et tressages).

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La fabrication de l'habitat est un exercice de cohésion sociale

 

Nombreux ont été les participants à faire le lien entre des habitats non adaptés (confusion des espaces privés et d’accueil entraînant la promiscuité, pas de lien à la terre, absence de végétal, pas de possibilité de cohésion) et les violences intrafamiliales, le décrochage scolaire, la délinquance et l’errance des jeunes. Les femmes et les plus jeunes sont souvent les premières victimes d’un habitat inadapté aux modes de vie.

Le faré a pour usage principal l'accueil des proches
Le faré a pour usage principal l'accueil des proches
Les conclusions de ces échanges seront développées dans un document qui sera mis en ligne en octobre 2023 sur le site www.rcnc.gouv.nc, puis dans un référentiel technique courant décembre 2023.
L’équipe qui a travaillé sur ce projet tient à remercier tous les groupes qui les ont accueillis et facilité l’organisation des ateliers : la province des Îles et Habitat Loyauté, le conseil d’aire de la région de Koné, l’association des Indonésiens de Nouvelle-Calédonie, le Foyer Wallisien et Futunien de Nouvelle-Calédonie, la DPJEJ du gouvernement de NC, la SIC, l’association Bien Vivre aux Tours de Magenta, toutes les autorités coutumières des îles et du Nord et bien entendu les participants aux ateliers et les habitants qui nous ont ouvert la porte de leur maison.